By Edwige Suzon

Il y a quelques jours, je suis tombée sur un article intéressant qui présentait des personnes ayant quitté des emplois dans lesquels elles excellaient visiblement, si on se fie aux salaires mirobolants qu’elles touchaient. Des ingénieurs, des as du business en ligne, des cadres d’entreprises qui ont tout quitté du jour au lendemain, ont rangé leurs « grands diplômes » sous le matelas et opté pour un métier manuel niveau CAP qui les passionnait.

J’imagine facilement la libération qu’un tel acte peut représenter pour celles qui décident de taire les « voix de la raison » de la société et de leur entourage, et d’écouter leur cœur, leur passion, leur envie. Je m’imagine bien le faire aussi puisque j’ai déjà fait, plus d’une fois, des choix professionnels risqués, voire complètement incompréhensibles, parce que je cherchais à être en phase avec moi-même.

Ainsi, étant familière avec la démarche, ce n’est pas tant leur geste qui a retenu mon attention, mais plutôt leur décision de ne pas se conformer. D’ailleurs, être anticonformiste est en train de devenir la norme. Plusieurs voix s’élèvent pour rappeler que chacune a été créée pour une raison spécifique. Nous sommes taillées sur mesure, avec nos dons, talents, expériences, sensibilités, pour répondre à des problèmes de la société dans laquelle nous évoluons, au moment précis où nous traversons la vie terrestre. Ces prophètes d’un nouveau genre nous invitent à sortir des carcans pour vivre une vie qui nous ressemblent pleinement, pour répondre à notre appel authentique et non pas devenir des pâles copies de Monsieur-Madame Tout-le-monde. C’est louable, que dis-je, c’est génial! Cela vient expliquer et légitimer mes « écarts de conduite » professionnels, et les vôtres aussi, j’en suis sûre.

Pourtant, même cette libération devient contraignante au fil du temps, alors qu’elle s’accompagne d’une dictature de la réussite selon un certain modèle. Par exemple, le truc de l’heure c’est le business sur internet. Si tu n’en fais pas, c’est limite comme si tu passais à côté de ta vie. Tu veux vivre de ta créativité, faire ce qui te passionne vraiment? Super! Mais avant il faut que tu deviennes un as du webmarketing. Il faut que tu t’exposes et sois hyperactive sur toutes les plateformes en ligne. Il te faut commettre 5 à 15 publications par jour sur tel ou tel réseau social pour accroître ta visibilité, le nombre de tes abonnés et convertir ces abonnés en clients.

Je comprends et j’accepte très bien l’idée qu’il faille mettre un peu d’huile de coude pour réaliser nos rêves. Mais est-il vraiment impossible de réussir sans se soumettre à ces nouveaux dictats? Y a-t-il des rebelles qui se sont dit « Marre de m’échiner sur les réseaux sociaux! Je choisis de m’en passer et de réussir autrement » et qui réussissent effectivement? Je recherche désespérément plus de ce genre de modèles, tout comme on a de plus en plus d’exemples de personnes vivant de leur passion et jouissant de la liberté d’avoir dissocié heures travaillées et rentrées d’argent. Parce que chaque fois qu’un concept est en vogue, il oppresse ceux qui n’aspirent pas à s’y plier. J’imagine que ceux qui se sentent complètement épanouis dans leur corporate job doivent également subir le contrecoup de cette mode : « Quoi! Tu n’as pas encore de business en ligne et tu dors sur tes deux oreilles parce que tu aimes ton boulot qui paie bien!?!?! Quelle inconscience! »

En gros, c’est lourd! Avant, pour être au top, il fallait avoir un poste prestigieux avec un salaire juteux dans une grande entreprise. Maintenant, il faut dominer les réseaux sociaux, avoir une boutique en ligne et faire des ventes dans son sommeil.

Que feront les anticonformistes de demain? J’ai bien hâte de voir! Mais pour le moment, je me conforme à l’anticonformisme d’aujourd’hui!