Par Christelle Kamanan
Beatrace Angut Oola fait partie des pionnières de la diversification de la mode en Allemagne. Elle est aussi la fondatrice de la plateforme de mode et de style dédiée à l’Afrique: Fashion Africa Now.
J’ai rencontré Beatrace dans le cadre de Connecting Afro Futures, une exposition de mode et coiffures africaines, présentée à Berlin jusqu’au 1er décembre 2019. Fashion Africa Now a co-créé cette exposition mettant en avant des productions d’Afrique de l’Ouest (Sénégal particulièrement) et de l’Est (Ouganda principalement). Des personnalités du monde de la mode et de la création telles que Adama Paris, y participent.
Je suis le développement de Fashion Africa Now depuis plusieurs années. C’est de même pour la visibilité de la mode africaine en Allemagne. J’ai assisté à un des premiers défilés de l’African Fashion Week à Berlin en 2011. Autant dire que je vois les choses évoluer en Allemagne, notamment à Berlin. Depuis environ, 2 ans il y a comme une explosion d’événements culturels et artistiques, de festivals, de workshops, de conférences… Si vous vous posiez la question: le monde Afro résonne à Berlin.
Rencontre avec Beatrace Angut Oola
Beatrace est jeune femme pro-active et entrepreneuse. Son dynamisme et sa détermination se ressentent dès les premiers instants. Elle est d’ascendance ougandaise et a grandi en Allemagne. Avant de lancer sa plateforme de mode, Beatrace a travaillé en tant que créatrice de mode. Elle a ainsi pu observer de l’intérieur les pratiques du milieu en Allemagne ainsi que le manque de représentativité.
En 2012 elle lance APYA Productions, une agence de développement destinés aux projets créatifs. Cette même année Africa Fashion Day Berlin (AFDB) voit aussi le jour. C’est cette plateforme qui est renommée en 2016 Fashion Africa Now. Si vous êtes plus habituées aux projets de mode francophone, la plateforme a notamment collaboré avec une des fondatrices du magazine Fashizblack.
Beatrace parle de Connecting Afro Futures
Moi; D’où t’es venue l’idée de réaliser une telle exposition ?
Beatrace Angut Oola; Après un long séjour à Kampala (Ouganda) j’ai été marquée par l’effervescence locale. En rentrant en Allemagne, mes connaissances m’ont fait part des mêmes observations concernant le Ghana, le Nigeria ou même le Kenya. Quelque chose se passait sur le continent et au sein des diasporas mais ça ne se voyait pas en Allemagne. Alors j’ai voulu qu’en Allemagne nous puissions aussi montrer cela.
Moi; Une des différences avec d’autres événements c’est qu’il s’agit d’une exposition et que cela se fait dans un musée fédéral allemand. Pourquoi
Beatrace Angut Oola; Tout d’abord je voulais que ce soit une exposition et non un défilé. Cela permet une période de diffusion plus longue. On peut aussi associer un volet pédagogique, ouvrir des discussions, des réflexions sur la visibilité et la représentation des Noirs en Allemagne. Il y a d’ailleurs des ateliers, des conférences et des visites guidées dans le cadre de cette exposition.
Par ailleurs, j’avais à coeur que ce soit un événement dédié au grand public et non pas à la seule communauté Noire. Il est important que la diversité soit aussi visible et représentée dans les lieux et institutions culturels du pays. C’est dans ce cadre là que l’exposition a été pensée avec le Kunstgewerbe Museum* (Musée des Arts Décoratifs). L’équipe du musée souhaitait aussi repenser sa manière de présenter l’Afrique. Le souhait était de montrer ce qui se fait maintenant, les tendances, et comment la diaspora en Allemagne suit aussi ces actualités en matière de style.”
L’art capillaire Africain exposé
Moi; Pourquoi une exposition sur la mode ET les cheveux?
Beatrace Angut Oola; Les cheveux sont tellement importants pour les filles et femmes Noires. Il y a aussi des tendances en matière capillaire. Ensuite j’ai moi même eu un véritable parcours d’acceptation et d’appropriation de ma chevelure naturelle. Dans les années 80 ou 90 voire 2000, il y avait une toute autre perception des Noirs en Allemagne. Ce n’était pas évident d’accepter ses cheveux. Et ma mère ne comprenait pas forcément le mal être que je ressentais par rapport à cela, n’ayant pas grandi dans ce contexte européen.
Moi; C’est un point important que tu soulèves: la phase d’acceptation et appropriation de ses cheveux?
Beatrace Angut Oola; Je pense qu’il s’agit avant tout d’un cheminement. Chacune le fait à son rythme. Il y a tout un travail psychologique lié à sa propre image, sa personnalité, son identité. C’est pour cette raison que je ne soutiens pas le “hair bashing”. Une personne qui se défrise ou fait des tissages ne doit pas être blâmée. Elle a ses raisons et son cheminement. Ce que nous pouvons faire c’est de montrer qu’elle a le choix d’avoir sa chevelure naturelle et qu’il existe plusieurs options pour l’entretien et les coiffures.
Moi; Quelle relation as-tu avec tes cheveux?
Beatrace Angut Oola; Je les considère comme une couronne. Nous les utilisons de différentes manières: accessoires de mode, affirmation personnelle ou politique, expression d’une certaine spiritualité, extravagance, lien à ces ancêtres, etc.”
La mode Africaine, loin des clichés wax et couleur
Moi; Une des choses qui m’a agréablement surprise dès l’entrée de l’exposition, c’est l’absence de pagne wax. Etait-ce un élément?
Beatrace Angut Oola; Oui, en effet je voulais sortir de ce qui se montre en général. Par ailleurs, il y avait certains critères pour la sélection des créateurs: travailler sur les vêtements avec une approche écoresponsable et/ou développer des projets autour des cheveux, s’inspirer de tissus, méthodes de création ou de vêtements traditionnels, ne pas utiliser de pagne wax. Il est vrai que c’est un tissue populaire tant sur le continent africain qu’au sein de la diaspora, mais nous voulions montrer un des autres visages de l’Afrique.
Moi; Quelles sont tes attentes, maintenant que l’exposition touche à sa fin?
Beatrace Angut Oola; J’espère sincèrement qu’un dialogue a été ouvert, que la diversité présente en Allemagne sera davantage visible dans les lieux culturels du pays.
J’aimerais que la société réalise ce que cela signifie de se sentir marginalisée parce qu’on ne trouve aucun soin capillaire dans les magasins habituels. À travers l’exposition nous avons vraiment mis l’accent sur la pédagogie. En donnant les noms des coiffures par exemple, leur contexte historique. Enfin, Connecting Afro Futures est aussi là pour intensifier le dialogue diaspora-Afrique.”
Ayant participé à la soirée d’ouverture, je peux confirmer que cette exposition marque un tournant en Allemagne. Il y a eu des performances, notamment la réalisation de tresses avec des mèches, dans l’enceinte même du musée. Avez-vous déjà vu une telle chose ailleurs en Europe, dans un musée ? L’événement a aussi été couvert par la presse locale et une chaîne de télé nationale. Une des créations de Lamula Anderson a été en couverture du très populaire magazine berlinois TIP Berlin, pour sa seconde édition du mois d’août.