Par Christelle Kamanan
Depuis 3 semaines le Liban fait face aux conséquences de l’explosion qui a eu lieu au niveau du port de Beyrouth. Tout le monde ou comme on dit ” la communauté internationale ” s’en est émue, se mobilise et s’empresse même d’aller au chevet de la population libanaise. Ceci est louable aux vues de l’ampleur des dégâts et de la situation dans laquelle se trouve le pays. Néanmoins, il y a bien longtemps que c’est la catastrophe au Liban pour des milliers de femmes, notamment les femmes africaines subsahariennes.
L’organisation Human Rights Watch estime à environ 250 000 le nombre de personnes travaillant comme domestiques au Liban. En vérité, il s’agit surtout de femmes, qui sont malheureusement traitées comme des esclaves ou en tout cas se voient privées de nombreux droits.
Comment cela se passe-t-il ?
Une femme subsaharienne est repérée par une agence de placement de domestiques. On lui propose d’aller travailler à l’étranger, en lui faisant miroiter des avantages matériels et surtout sans qu’elle ne soit réellement informée de la situation qui l’attend sur place. Il arrive même que la femme paie pour s’inscrire dans cette agence de placement.
Celle-ci est en contact avec des familles au Liban qui recherche une ou des domestiques. Des frais sont payés à l’agence pour le recrutement, l’organisation de l’embauche et le voyage.
La Kafala change la donne de ce qui pourrait être une simple relation de travail. Il s’agit d’un système de parrainage dans lequel le chef de famille, un homme libanais, se porte garant du séjour de son employée au Liban. Celle-ci ne peut quitter le territoire qu’avec son autorisation, ne dispose plus de ses documents administratifs et son statut n’est pas clairement défini par le Code du Travail libanais. Autant dire qu’elle est à la merci de son employeur et ” protecteur “.
De là, on imagine bien toutes les dérives qui en découlent. Nombreuses sont les histoires de meurtres, agressions sexuelles et violences en tous genres. On ne compte plus les témoignages de femmes africaines relatant le calvaire vécu dans telle ou telle maison.
A titre personnel, je me souviens d’une membre de ma famille élargie partageant son expérience de ses deux ans de vie au Liban en tant qu’employée de maison. Je l’écoutais la bouche ouverte tellement j’étais effarée ! Le racisme et le harcèlement est constant, à l’extérieur comme à l’intérieur. Aucun répit. C’est une situation de stress psychologique et émotionnel constante ; sans parler des cas de violences physiques.
Avec d’un côté tous ces témoignages de travailleuses, et d’un autre côté le mépris clairement affiché par les employeurs, on peut se demander pourquoi ce système perdure encore.
Il y a bien longtemps que le pays entretient des échanges de différentes formes, notamment commerciaux et humains avec des états du continent africain et cela même à l’époque de l’Empire Ottoman.
La population libanaise vit et prospère dans de nombreux États africains, notamment en Afrique de l’Ouest. D’ailleurs, selon les estimations la Côte d’Ivoire accueille la plus importante diaspora libanaise en Afrique, suivi par la Guinée.
Ainsi on ne peut pas dire que les uns et les autres ne se connaissent pas. Pourtant de forts préjugés persistent à l’encontre des immigrés à la peau noire au Liban.
Des travailleuses indispensables
Même si cela est encore très peu reconnu et admis de manière publique et officielle, les employées de maisons immigrées sont des travailleuses indispensables à la société libanaise.
En effet, on accorde beaucoup d’importance à la position sociale et il existe une véritable hiérarchie. Les apparences sont extrêmement importantes. Les femmes libanaises, elles-mêmes, subissent activement toutes sortes de pressions à ce sujet. Ainsi avoir une ou plusieurs domestiques est un signe visible de distinction sociale.
Et, ces femmes étrangères occupent des postes qui ne sont absolument pas désirés par les Libanais.
Par ailleurs on compte environ 800 agences de placement ; la moitié ne serait pas enregistrée officiellement. Autant dire que c’est un véritable business. C’est donc dans l’intérêt de nombreuses personnes que ce système ne soit ni arrêté ni remis en cause.
Enfin, et malheureusement, les travailleuses elles-mêmes alimentent la machine. Comme dans de nombreux cas, la précarité pousse souvent aux extrêmes. Il y a celles qui servent de recruteuses intermédiaires auprès des agences. Elles se font ainsi rémunérer.
Il y a aussi la majorité silencieuse.
La majorité silencieuse
Bien que les témoignages de maltraitance d’employées de maison se multiplient, nombreuses sont les femmes qui gardent le silence sur leur situation réelle. Cela peut se comprendre et s’expliquer largement. La peur des représailles, le souhait de ne pas décevoir ou attrister sa famille quand on est peut-être le seul soutien financier, l’absence de perspective, le choc lié aux traumatismes, etc.
On n’oubliera pas de mentionner le silence des ambassades des pays respectifs de ces employées.
La récente explosion chimique n’a fait qu’exacerber cette catastrophe humaine en cours au Liban. En plus de tout ce qu’elles subissaient déjà, nombreuses sont ces femmes à être maintenant sans abri. Et on se doute bien qu’elles ne font pas partie des premières à recevoir de l’aide. La situation socio-économique et politique étant plus compliquée, ces femmes africaines vivent un quotidien encore plus précaire et vulnérable qu’auparavant.
En revanche, l’actualité a poussé plusieurs médias occidentaux à relayer des témoignages et remettre sous les feux des projecteurs les cas des travailleurs immigrés au Liban.
On ne peut qu’espérer que des campagnes de sensibilisation et de prévention soient aussi mises en place directement auprès des jeunes femmes en Afrique, qui envisagent d’aller travailler comme employée de maison à l’étranger.