Par Christelle Kamanan
Entretien avec Nathalie Tientcheu
Aujourd’hui je vous propose d’aller à la rencontre de Nathalie Tientcheu, l’autrice du livre L’amour est une histoire de sorcellerie. À travers un roman dynamique elle nous emmène au cœur de la vie d’une famille franco-camerounaise.
Entre comédie et drame, on passe du rire à l’énervement au cours de la lecture. On se retrouve même à prendre parti pour certains personnages. Je ne vais pas vous dévoiler toute l’histoire ; voici néanmoins quelques informations.
Faustin est un père de famille, Camerounais, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et entend bien que les choses fonctionnent comme il le souhaite.
Seulement voilà, certains de ses enfants sont nés, grandissent et vivent en France. Naturellement, ils ne se conforment pas aux normes de l’éducation africaine traditionnelle, ou du moins aux demandes de leur père. Ils le questionnent, le harcèlent, le boudent et n’hésitent pas à lui faire face ou même le défier. Cela n’empêche pas Faustin de créer une relation particulière avec chacun de ses enfants, qu’il comprend et chérit à sa manière.
Parallèlement, ses femmes, oui car Faustin est polygame déclaré et affirmé, ne restent pas spectatrices face à cet homme charismatique. En fait, l’une d’entre elles, Clotilde, mène toute la danse. Mais cela Faustin se garde bien de le dire ou même de le laisser entrevoir. Selon lui, elle le rend faible car elle l’a envouté.
Derrière cette histoire qui s’inscrit dans la tradition des vaudevilles, l’autrice aborde des thèmes intimes, universels voire même tabous. Quelle est la véritable histoire de la rencontre de nos parents et notre conception ? Pourquoi une mère, qui semble si malheureuse dans son couple, ne divorce-t-elle pas ? Cet homme adulte, qui semble perdu, sans but, sans rien, qui est-il en réalité ? Comprenons-nous réellement les enjeux des disputes entre les parents ? Enfant, traité différemment, et si l’homme qu’on appelle ” papa ” n’était en fait pas notre vrai père ?
Nathalie Tientcheu nous en dit plus.
Si ses parents sont originaires du Cameroun, c’est en France qu’elle a grandi et qu’elle vit. Son imprégnation dans sa culture camerounaise s’est faite à travers les récits de son père. Puis, une fois adulte, lors de ses voyages au Cameroun et dans d’autres pays africains, elle a observé. Cela l’a notamment inspirée pour la rédaction de L’amour est une histoire de sorcellerie.
Qu’est-ce-qui vous a particulièrement inspiré ?
La manière dont on vit les relations amoureuses et familiales. J’ai notamment observé qu’il y avait des constantes que l’on soit au Cameroun ou au Togo.
Par exemple, le lien à la filiation ou à la parentalité ne se vit pas de la même manière. Le personnage de Faustin qui a des enfants avec plusieurs femmes, dont certains qu’il découvre une fois qu’ils sont adultes, en est une illustration. Je me souviens d’un proche, qui à chacun de mes séjours au Cameroun, me présente un nouvel enfant, qu’il a eu avec une autre femme. On n’en fait pas un drame, on ne pose pas de question. Un enfant vient et on l’accueille. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tensions dans la famille, bien au contraire. Cependant, il est bien plus simple pour cet enfant de trouver une place dans la fratrie que dans le système familial occidental.
Et en ce qui concerne l’amour ?
C’est pareil. Lorsqu’on, un homme surtout, ressent un sentiment fort pour une femme, de l’amour, on considère cela comme de l’envoûtement. Cela sous-entend que ce n’est pas normal d’être autant attaché à une personne au point de se refuser à suivre des normes. On n’envisage pas l’amour comme un sentiment, un ensemble d’émotions mais plus comme le fruit d’une opération mystique. L’attirance physique est considérée comme normale mais pas celle émotionnelle ou sentimentale. En tout cas, on lui attribue une origine spirituelle.
Justement, parlons du personnage de Faustin.
Alors il est peut-être celui qui fait le plus naître des sentiments contradictoires au cours de la lecture du livre. On commence par le détester puis on finit par le comprendre voir l’apprécier. Je souhaitais construire un personnage qui reste constant. Ce sont en fait les points de vue des autres personnages qui le font paraître coupable, méchant, négligeant … Cela permet de mettre en lumière le fait que rien n’est tout noir ou tout blanc, surtout dans les histoires de famille et encore plus dans les relations entre les parents. Les enfants, comme souvent, sont tentés de se ranger derrière un des parents, celui qui semble être la victime.
Alors parlons maintenant de Clotilde, l’amour de Faustin !
Clotilde représente de nombreuses femmes de la diaspora africaine qui vivent seules avec leurs enfants, s’accroche à un mari à la fois présent et absent et disent souvent ” tu ne peux pas comprendre “, lorsqu’on leur parle de cela. Le personnage de Clotilde a interpellé de nombreux lecteurs, qui ont voulu en savoir plus sur le passé sentimental et amoureux de leur mère. C’est un sujet de discussion assez tabou, en vérité. Peu d’enfants questionnent leur mère sur cet aspect de leur vie ; la femme qu’elle était avant leur naissance.
En parlant de cela, Bernard est-il une représentation du passé de Clotilde, une sorte de ” mari de nuit ” comme on dit en Afrique ?
En quelque sorte, oui, sauf que dans cette histoire Bernard est bien réel et Clotilde oscille entre une histoire d’amour fantasmée et une vie maritale réelle. Il est l’ex dont elle n’a pas guéri au point de le retrouver et de ” perdre complètement la tête “.
On comprend que c’est une fiction. Néanmoins dans quel personnage vous retrouvez-vous le plus ?
Certainement dans Armand qui se voit rattrapé par toutes les traditions, la nécessité de les appréhender et dans son cas de les accepter à contre cœur. On peut y être préparé en entendant des récits mais c’est complètement différent lorsqu’on y est confronté réellement.
Est-ce que vous envisagez une suite ou une adaptation théâtrale du roman ?
Les deux peuvent être envisagés. On me demande souvent si une suite sera écrite, avec notamment un retour sur le passé de Bernard. Nombreux sont les lecteurs qui veulent en savoir plus sur lui, sur ce qui l’a fait être l’homme qu’il est.
Par ailleurs, l’idée d’une pièce de théâtre a aussi été abordée.
Au théâtre, cette pièce serait très intéressante, surtout pour les dialogues. En effet, Nathalie a réussi un exercice pas évident : donner la touche et l’authenticité camerounaises à travers les expressions, les dialogues, les références, sans tomber dans la caricature.
C’est un roman qui se lie facilement et vous fait voyager dans un quotidien qui peut vous sembler très proche.
Je remercie chaleureusement Nathalie Tientcheu pour sa disponibilité.
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