By Iris Ntore

Femme nue, femme noire

Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté

J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux

Et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi,

Je te découvre, Terre promise, du haut d’un haut col calciné

Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle

Léopold Sédar Senghor, Chants d’ombre

Enfant, je n’avais pas de poupée noire, pour les raisons suivantes: de un, le commerce de poupées noires était quasi inexistant; De deux, la qualité de celles qui se vendaient laissait à desirer; et de trois, je ne les trouvais pas du tout belles. Bref, il était difficile de se sentir particulièrement attiré par elles. Et c’était le cas pour toutes les petites filles que je connaissais.

Où est-ce que je veux en venir ? La réalité est que la majorité des petites filles noires est plus attirée par les poupées du genre Barbie qui ressemblent au type caucasien, c’est-à-dire les poupées blanches aux longs cheveux lisses et blonds. On s’arrachait même ce genre de poupée entre copines.

Mais à quoi cela rime-t-il de voir des petites filles jouaient avec des poupées qui ne leur ressemblent pas du tout? En grandissant, j’ai de plus en plus pris conscience que c’était un problème.

Pourquoi est-ce un problème?

Les jouets qu’ils soient fabriqués industriellement ou bricolés à la maison servent à stimuler l’imagination de nos enfants. Ils se projettent dans un monde qui leur appartient avec des acteurs, des histoires auxquelles ils participent eux-mêmes en s’identifiant aux jeux de rôles qu’ils s’inventent. Ils jouent à la police, à la guerre, au sport, à la maman, à la princesse, à la star, aux pirates, … J’ai eu donc un choc quand je me suis rendue compte que l’image idéale projetée sur nos filles noires (et de nous-mêmes à leur âge) est celle d’une belle fille blanche aux cheveux blonds et lisses : Barbie = Princesse = Belle.

Les causes de ce problème

Il y a plusieurs raisons qui sont à l’origine de ce problème. Mais la colonisation et la mondialisation jouent le plus grand rôle dans la transformation de l’image des femmes noires.

Je pense que le problème remonte à colonisation. En effet, au contact avec l’homme blanc, l’homme noir a changé la perception qu’il avait de lui-même. Je ne vais pas donner de cours sur la colonisation, mais nous savons que lorsque le colon est venu pour « civiliser » les peuples africains, cela s’est fait au travers de ce qu’il a appelé l’assimilation.  L’assimilation voulant dire l’éradication de tout ce qui fait l’identité et l’estime de ces peuples (histoire, langue, culture, ainsi que apparences physiques, canons de beauté, etc). Tout ce qui était « indigène » était mauvais, sale, moche, sans valeur. Tout ce qui venait d’eux était bon, beau, propre et intéressant. Ceci a eu pour conséquence entre autres de changer les pratiques esthétiques des africains et des africaines en particulier. Ainsi, la femme blanche est devenue la référence à suivre en termes de beauté pour la femme noire. A partir de l’époque coloniale, le modèle de beauté noire africain s’est dégradé pour laisser la place à la beauté au « teint clair » et aux « cheveux lisses ».

Aujourd’hui plus que jamais, c’est toujours le type de beauté caucasien qui domine en grande partie les réseaux sociaux, la télévision et les magazines. On peut donc dire que la mondialisation est une autre cause, car avec l’expansion de l’internet, l’idéal de beauté caucasien continue à se répandre et à être le point de référence. Les filles ou les femmes africaines qui se dépigmentent la peau et se lissent les cheveux ne font que se conformer pour être belles et acceptées.

Conséquences sur l’image de la femme africaine

Au 21ème siècle, les pratiques esthétiques anciennes africaines ont plus ou moins disparues. Et l’image qu’on a de la femme noire a été à jamais transformée par la colonisation et la mondialisation. Ce qui a empiété sur son amour propre. Le dénigrement de la beauté noire a conduit à la pratique de la dépigmentation de la peau, du défrisage des cheveux crépus et de l’utilisation des tissages ou des perruques. Car pour être « belle », il faut être le plus claire possible et avoir les cheveux très lisses.

Ces pratiques reflètent à quel point la femme noire a intériorisé des décennies de dénigrement de sa beauté. En effet, qu’est-ce qu’une beauté noire si ce n’est une femme noire qui accepte d’être qui elle est sans se faire subir des transformations physiques pour vouloir ressembler à une blanche. À notre époque, il me semble que c’est de plus en plus difficile d’accepter sa nature. Lorsqu’on est assailli dans les clips par des femmes noires de renoms qui avaient le teint foncé au tout début de leur carrière et qui ressemblent à des blanches avec le succès. Parce qu’on dit souvent d’une fille au teint foncé qu’elle n’est pas « très belle ». Pire encore, on voit de plus en plus de sénégalaises et maliennes qui étaient jadis louées pour leur teint foncé, se dépigmenter la peau. Quant au cheveu crépu, il a toujours été traité de « pas beau », « difficile à entretenir », « indiscipliné », donc il faut le redresser. Cela va plus loin parce qu’être claire et avoir les cheveux lisses est synonyme d’ascension sociale. Pour cette raison, beaucoup de filles se dépigmentent et se lissent les cheveux pour suivre la mode. Alors que la pratique abusive de la dépigmentation et du défrisage ont des conséquences désastreuses sur leur santé dont on ne parle pas souvent.

Propositions de solutions

Comment redonner confiance à la femme noire ?

Je dois avouer qu’il serait difficile de faire face à l’image de la femme au teint clair et aux cheveux lisses, véhiculée par les réseaux sociaux et qui a fini par être louée dans nos sociétés africaines mais voici quelques pistes de solutions :

  • Le plus grand changement, c’est de réapprendre qui nous sommes et de nous accepter tel que Dieu nous a créé.
  • Faire comprendre aux mamans qu’il est dangereux d’appliquer des produits chimiques sur les cheveux de fillettes. Commencer très tôt à valoriser la beauté originale des petites filles noires. Parce qu’il n’est pas juste d’élever des petites filles en les faisant sentir mal dans leur peau. Ça nuit à leur estime personnelle.
  • Faire la promotion des différentes beautés africaines. Soit par les réseaux sociaux, à la télévision et dans les magazines.
  • Dénoncer les publicités qui font la promotion de la dépigmentation de la peau.
  • Développer le commerce de poupées qui ressemblent aux filles ou femmes africaines.

A mon avis il y a de l’espoir, les choses peuvent changer. Par exemple, on commence à voir petit à petit des poupées noires qui nous ressemblent. Et que dire des mouvements qui font la promotion des cheveux naturels ? Bref, il y a une révolution en cours et l’objectif de mon article est de nous faire prendre conscience que nous avons une beauté véritable qui nous a été volée mais qui n’est pas à jamais perdue. Nous avons un rôle à jouer pour la récupérer.

Il est temps de célébrer la beauté noire africaine dans toute sa splendeur !